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S’envoler d’Estelle Clareton / Présenté par le Festival TransAmériques

S’envoler d’Estelle Clareton / Présenté par le Festival TransAmériques

23 juin 2011

Article de Marion Gerbier, Dfdanse, 22 juin 2011
S'envoler - Estelle Clareton -photo Ben PhilippiDès l’œuf, le projet S’envoler d’Estelle Clareton était présenté comme le bilan de migrations artistiques, géographiques et identitaires. Une heure de danse comme elle va-et-vient, simple et innée, acrobatique et aventureuse. Un dilemme ou équilibre en constante recherche entre le besoin d’attachement et l’instinct d’exil.

(Casa del Popolo, Montréal, été 2006) Je bredouille à une amie le ventre tordu comme un torchon que c’est toujours la même histoire d’avant départ : bien sûr je crève d’envie et de bonheur de revoir tout le monde en Franchourie, mais rentrer à la maison me déchire en deux pour quelques semaines d’exil où ma place semble nulle part, et je songe déjà au retour dans mon petit appart pour me calmer. Elle souligne la contradiction du « rentrer à la maison » d’un : « chez toi c’est ici maintenant ». Et le nœud aux tripes se défait de cette petite phrase miracle. Demeure pourtant depuis ce temps l’habitude incontournable – heureux hasard ou symptôme – de chaque fois resserrer des liens forts avant de m’envoler pour un séjour de l’autre côté. Au fait avez-vous vu Je reviens de mourir, Guillaume ? C’était bien, hein ! Parenthèse fermée.

Ces sensations d’expatriée ne sont certainement pas inconnues à Estelle Clareton (compagnie Création Caféine). Si sa vie est désormais installée au Québec, la chorégraphe interprète reconnaît que ses racines françaises continuent de la nourrir et la rattachent à vie à cet autre pays d’origine. Garder en soi la fibre de sa culture et de ses souvenirs d’enfance, ne jamais être totalement absorbé dans un environnement d’accueil ; d’un côté comme de l’autre il y a désormais l’impossibilité d’appartenir entièrement quelque part. Un tel sentiment à base d’errance n’est pas toujours confortable, il est pourtant la contrepartie d’une chance de participer à plusieurs mondes.

Du point de vue artistique, après un apprentissage au Conservatoire d’Avignon, une formation à O Vertigo ainsi qu’un passage au sein de la Fondation Jean-Pierre Perreault entre autres, le lancement de Création Caféine confirme l’ancrage chorégraphique d’Estelle Clareton, bien qu’elle conserve des implications dans le milieu de la télévision, du théâtre ou du cirque. En danse elle s’éloigne du parlé pour une théâtralité plus innée au geste. Elle se distancie surtout d’une mouvance minimaliste et dénudée pour préserver à la discipline son dynamisme fondateur, le mouvement. S’envoler résulte à la fois de ces différentes influences et constats chorégraphiques, et de déplacements et repositionnements personnels.

La douzaine de danseurs s’aventure à entrer en scène groupée, après avoir envoyé un éclaireur pour vérifier que la voie était dégagée. Tassés les uns contre les autres pour se rassurer, ils piétinent, tournent sur eux-mêmes, se bousculent sans gêne pour garder leur place. Progressivement leurs attitudes s’émancipent, prennent de l’ampleur de l’espace et de la liberté. Ils finissent par s’égailler, happés par le vertige d’espace et d’indépendance, malgré quelques retours ponctuels au bercail comme pour confirmer qu’ils peuvent s’y retrancher au moindre danger. Foufous et joueurs, les voilà lâchés comme des électrons libres qui fusent dans toutes les directions, et pourtant conservent cette harmonie sous-jacente du groupe, qui fait que même aux quatre coins de la scène ils se répondent, se font écho, et sont capables de se rassembler rapidement. Ils se sont jetés d’un même nid après tout. Car la gestuelle est profondément inspirée d’oisillons qui tentent le grand saut après moult tergiversations, quelques ratés et de multiples pirouettes. La participation d’un acrobate (Raphael Cruz) et d’une comédienne (Noémie Gaudin-Vigneau) viennent colorer l’ensemble d’une touche originale et plus spectaculaire. Ils ont parfaitement assimilé les coups de bec furtifs, les contorsions dans le peu d’espace du foyer, et la curiosité hésitante devant le grand vide et ses possibles dangers.

De progénitures animales ou petits d’hommes, on retrouve cette évolution de l’inconscience à l’insouciance à l’imprudence et l’intrépidité, ce cheminement vers plus de perception du danger mais pas nécessairement moins de prise de risque. Ils expriment cette volonté de s’échapper, de se détacher de la maison, tout en revenant régulièrement sur leur audace pour rejoindre bien vite la chaleur du troupeau. Et du moment que ce retour au confort familial (ou communautaire) semble possible, pas de stress. Reste qu’en grandissant on s’aventure de plus en plus loin, et l’on se demande s’il n’existe, pas très loin, un certain point de non-retour.

D’expérience d’expat – si tant est qu’en se délocalisant volontairement, on puisse dire ça – l’appel des gènes et de l’habitus tient lieu de longue laisse élastique à intervalles réguliers, pour raviver le naturel d’origine. Dans leur cas, ces oiselets termineront ensemble et serrés comme ils ont commencé, bien que quelques uns y aient peut-être perdu des plumes au détour d’acrobaties un peu ambitieuses. On observe une heure durant la progression de leur courage et l’évaporation de leur frilosité. On les protège du regard en quelque sorte, de loin, prêt à intervenir si ça venait à dégénérer, mais les laissant plus facilement que des parents survoler le risque selon l’idée qu’on apprend et comprend en osant et se plantant (ou en réussissant parfois). Du point de vue de l’émigration c’est un peu différent, selon l’adage cette fois que les voyages forment la jeunesse. Seulement certaines expéditions sont des piqûres à vie, et le zèle n’est pas tant dans le fait de partir que dans celui de pouvoir en revenir. Revenir d’exil comporte des risques, comme rentrer une aiguille dans un vieux disque (Richard Desjardins).

S’envoler sera à la programmation de La Rotonde de Québec en novembre.

Source : Dfdanse, Marion Gerbier