Chroniques du regard 2018-2019 | 04 – Solo 70
Solo 70 de Paul-André Fortier et Étienne Lepage (Fortier Danse-Création)
La Rotonde présente, pour deux soirs seulement, Solo 70 du montréalais Paul-André Fortier. D’un côté, personnalité importante et figure incontournable (emblématique) du monde de la danse contemporaine québécoise et, d’un autre côté, tout simplement « un homme qui danse ». Le chorégraphe et interprète célèbre ici son entrée dans la septième décennie de sa vie sur terre. Ce spectacle est aussi le dernier de la compagnie Fortier Danse-Création, fondée en 1978, qui a permis à l’artiste passionné une fructueuse carrière et une visibilité internationale.
Solo 70, c’est pour vous si vous aimez les spectacles audacieux et à l’esthétique formelle.
Solo 70, c’est pour vous si vous êtes interpellé par le potentiel expressif du corps vieillissant.
Solo 70, c’est pour vous si vous vous voulez assister à la dernière œuvre d’une compagnie de danse marquante au Québec.
Le spectacle
Coulisses ouvertes, un grand espace blanc est fortement éclairé. Le sol y est dessiné de fines lignes délimitant une aire de jeu carrée. Cet espace accueille les déambulations d’un personnage qui marche. Il marche en silence. Il marche à travers l’espace scénique, toujours devant, tête baissée. Souvent, ses pas sont glissants.
Le voyageur se déplace de manière très systématique. Il va d’un côté à l’autre de la scène ou voyage de l’avant à l’arrière-scène. Il s’arrête parfois dans un endroit précis, prend une pose ou exécute une courte séquence plus ou moins élaborée de tours ou de sauts. Son voyage est solitaire.
Le personnage est habillé de noir. Sa silhouette est mince. Il semble mesurer l’espace. Parfois, la nature de ses pas changent, les talons peuvent devenir bruyants et les mouvements motivés par autre chose que les pieds : un désir de rotation, des tremblements qui activent tout le corps, des bras battant l’air ou des mains qui déplacent genoux et jambes.
Le thème du personnage solitaire et déambulant n’est pas, dans une certaine mesure, sans rappeler quelques spectacles récents présentés par La Rotonde : Running Piece de Jacques Poulin-Denis, Mille batailles de Louise Lecavalier et DATA de Manuel Roque qui mettaient eux-aussi sur scène un personnage unique dont la principale activité était la marche, la course ou le voyage imaginaire.
Dans Solo 70, Paul-André Fortier est accompagné de deux comparses qui vont influencer le courant des choses. Dès l’entrée du public, on les voit sur scène et ces deux personnes s’avéreront être un comédien et une musicienne. Assis, immobiles et tranquilles pendant le premier quart du spectacle, ils prendront ensuite une large place dans la trajectoire du danseur.
Spectacle construit lors d’une série de rencontres réparties sur deux années, Solo 70 s’est développé grâce à la collaboration de Fortier avec des plus jeunes artistes qui ont environ la moitié de son âge. « Solo 70 est l’épreuve du voyageur solitaire qui cherche à être déstabilisé par de nouvelles idoles et d’autres tentations. Danser encore, danser comme avant, obstinément, mais sur la guitare punk de Jackie Gallant, sur les interventions visuelles de Marc Séguin, sur les confessions de l’auteur Étienne Lepage chuchotées ou vociférées par le fougueux Étienne Pilon. Un faux solo troublant, qui inclut la présence d’agents provocateurs et de compagnons hallucinés. » Source : montheatre.qc.ca
Au fil des périodes de recherche et création, le spectacle a évolué pour devenir un tandem de création avec l’auteur Étienne Lepage, qui co-signe la mise en scène. Lors de cette tournée, le spectacle aura été présenté à Paris, Montréal, Vancouver, Ottawa, Québec et Edmonton.
Le chorégraphe-interprète
Paul-André Fortier compte 40 ans de carrière en danse contemporaine (chorégraphe, interprète et pédagogue) et, dans son corpus, on retrouve près de cinquante d’œuvres chorégraphiques.
Au début des années 1970, après un début de carrière alliant littérature et enseignement, il bifurque par hasard vers la danse en profitant d’une rencontre avec les membres du tout jeune Groupe Nouvelle Aire, une institution montréalaise, fondatrice de la danse contemporaine au Québec, dont sont issus plusieurs des interprètes et chorégraphes marquants de l’histoire de la danse au Québec. Un groupe dont la plupart des membres sont encore actifs aujourd’hui, incluant Louise Bédard, Ginette Laurin, Louise Lecavalier, Manon Levac, Daniel Léveillé et Édouard Lock.
Fortier y découvre sa passion pour la danse et quitte l’enseignement collégial pour se laisser guider par ses maîtres dont Martine Époque, cofondatrice de Nouvelle Aire, et surtout Françoise Sullivan, signataire du Refus global.
En 1978, il fonde sa propre compagnie (Danse-Théâtre Paul-André Fortier, qui deviendra Fortier-Danse-Création) « J’étais l’enfant terrible de la danse puisque j’ai brisé bien des tabous et pris énormément de risques. Mes chorégraphies étaient provocatrices et contestataires et mettaient en cause les travers humains. Je me disais que, si le roman ou le cinéma pouvaient nous poser des questions, la danse le pouvait aussi. » Source : Catherine Schlager
Au milieu des années 80, il cofondait avec Daniel Jackson la compagnie Montréal Danse. Au fil de ses créations chorégraphiques, trois soli importants se démarquent : Les males heures (1989), La tentation de la transparence (1991) et Bras de plomb (1993). Ces trois chorégraphies traitant déjà du déclin du corps et de la maturité du danseur ont été reprises ensemble dans une rétrospective présentée en 2000. Aussi à son actif, une période de plus de dix ans d’enseignement (création chorégraphique) à l’Université du Québec à Montréal.
À partir de 2006, le projet Solo 30X30 dans lequel il s’installe à un endroit 30 jours de suite pour y danser chaque jour pendant 30 minutes a été présenté plus de 450 fois, du Japon aux États-Unis en passant par Londres, Ottawa, Montréal et Paris (parvis du Trocadéro en 2012). Aussi, les spectateurs de La Rotonde se souviendront de Cabane présenté à Québec en 2010.
Entre autres distinctions, Paul-André Fortier recevait le Prix du Gouverneur général de la réalisation artistique en 2012. En 2013, il recevait une bourse de carrière du Conseil des arts et des lettres du Québec et, en 2018, il était nommé à l’Ordre national du Québec, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec.
Les collaborateurs
Après de nombreux travaux de collaboration avec des artistes établis de différentes disciplines dont Françoise Sullivan (danse), Betty Goodwin et Takao Minami (arts visuels), Robert Morin (cinéma) ou Rober Racine (performance et écriture), Fortier s’est associé, pour Solo 70, à des artistes d’une autre génération que la sienne.
Mise en scène : Paul-André Fortier et Étienne Lepage
Textes : Étienne Lepage
Comédien : Étienne Pilon
Musique (création et interprétation) : Jackie Gallant
Lumières : Jock Munro
Scénographie : Marc Séguin (qui venait alors de terminer les toiles de sa série blanc).
Costumes : Denis Lavoie
Assistante du chorégraphe et répétitrice : Ginelle Chagnon
Critiques du spectacle
« Voilà ce dont il est question dans ce spectacle inclassable. Paul-André Fortier a 70 ans, sa curiosité du monde est intacte et il poursuit sa démarche artistique sans barguigner. […] Il y a quelque chose d’infiniment bouleversant dans cette manière de se livrer sans artifices. Comme une promesse d’éternelle jeunesse… »
– Jean-Frédéric Saumont, Danses avec la plume
« La musique éclate d’un coup dans un style très rock et très puissant. Contraste ! Un texte est dit très vite sur des sons qui permettent de comprendre juste quelques mots. Ceci ressemble à un clash provocant… Contraste entre ces univers si différents. Pour autant, il se dégage une belle complicité entre ces trois interprètes…»
– Sophie Lesort, Danser canal historique
« …la fascination que suscitent le dos, les bras, les jambes et les fesses de Fortier, ce corps à la fois fragile et souverain, charnel et spirituel, historique et immortel. »
– Christian Saint-Pierre, Le Devoir
« Prestation hypnotique, donnée par cet artiste de 70 ans qui semble inlassablement recommencer sur scène son ouvrage avec vitalité et bonheur, « Solo 70 » illustre avec force la magnifique injonction de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »
– André Farache, I/O Gazette
Les liens externes
Liste des créations de Paul-André Fortier.
Une entrevue avec René Homier-Roy (mai 2018, 14 minutes).
Un reportage télé comportant des extraits de Vertiges et Solo 30×30 (images de Xavier Curnillon).
Le reportage de F. Plasson sur la chorégraphie 30X30 lorsque présentée à Paris en 2008 (30 minutes).
Un entretien radio du Centre National des Arts avec Anne Michaud (octobre 2018, 44 minutes).
Un reportage sur 15 X LA NUIT créé par Paul-André Fortier pour le danseur Simon Courchel.
Photos : Sandrick Mathurin