Chroniques du regard 2018-2019 | 03 – The Black Piece
The Black Piece d’Ann Van den Broek (Compagnie WArd/waRD)
En tournée internationale depuis 2014, le spectacle The Black Piece de la chorégraphe belgo-néerlandaise Ann Van den Broek sera présenté à la salle Multi de Méduse pour deux soirs seulement. D’une durée de 75 minutes, ce spectacle amène les spectateurs dans un univers intense où règne l’obscurité. Grâce à la captation en direct et à la diffusion sur écran des actions intimes et gros plans des interprètes, les spectateurs ont accès à la profondeur d’un puit sombre, sexy et confrontant dans lequel ils sont eux-mêmes plongés. Un univers émotif d’où peuvent émerger de nombreuses questions.
The Black Piece, c’est pour vous si vous voulez être déstabilisé.e.s.
The Black Piece, c’est pour vous si vous aimez les propositions fortes et radicales.
The Black Piece, c’est pour vous si vous aimez les spectacles alliant danse, vidéo et sonorisation.
Le spectacle
Primée aux Pays-Bas en tant que meilleure œuvre de danse (Swan Award, 2015) The Black Piece explore différentes manières d’appréhender le noir en tant que couleur. En allant chercher plusieurs couches de significations, le noir y sera vécu autant par les spectateurs que par les interprètes à travers une gamme d’émotions.
Immergé dès le départ dans l’obscurité totale, le spectateur est confronté à ses archétypes. Pour lui, le noir égale-t-il l’espace de la peur, du danger, de l’angoisse ou de la honte? À l’opposé, est-il plutôt espoir de refuge, récepteur de moments d’intimité et révélateur d’expériences sensorielles véritablement sensibles?
Dans ce spectacle d’ambiance à la narrativité ouverte, le noir cache les choses pour mieux les révéler. La chorégraphie veut toucher à la sincérité des sensations. Elle se veut révélatrice d’âme.
La sonorisation devient primordiale. Elle met les sens aux aguets. Seul contact avec la réalité lorsque la vision est inutile, elle transmet bruits et sons provenant, entre autres, de la manipulation concrète d’objets sur scène. Ces bruits, sons, paroles et chansons accentueront l’expérience émotive. Ils rythmeront les danses et aideront à créer un sens pour le spectateur.
Éventuellement, de l’obscurité naît une simple lumière. Elle apparaît avant de disparaître. Elle s’approche des objets et personnages sur scène. Les images de ceux-ci sont parfois retransmises en direct sur un écran en fond de scène. Le spectateur peut alors s’attacher aux détails observables en gros plan, à la manipulation de la lumière sur scène, aux ombres créées. Il peut cheminer dans ses expériences et découvertes. Lorsque le noir complet emplit de nouveau l’espace, l’expérience gagne en profondeur.
En dehors de l’éclairage, les objets et les personnages n’existent plus mais en fait, c’est faux, le noir leur permet une existence secrète. Qui sera partiellement révélée sous l’éclairage fugace. L’imagination du spectateur fera le reste. « Quasiment découpée en séquences, la pièce change sans arrêt de rythme et d’intensité à la lumière des sensations complexes abritées par le noir. Un thème revient plusieurs fois ; à l’unisson, ils se retrouvent en ligne dans une sorte d’état de transe commune envahi d’une même ivresse. » Source : Mathilde Perallat
Des extraits du spectacle sont ici et ici.
La chorégraphe
Née en Belgique, diplômée de l’Académie de danse de Rotterdam en 1991, Ann Van den Broek a dansé pour plusieurs compagnies de danse (New York, Amsterdam, Groningen et Charleroi) avant de se consacrer exclusivement depuis l’an 2000 à son travail de chorégraphe et à sa compagnie WArd/waRD. Dans son corpus d’une vingtaine d’œuvres chorégraphiques (parfois sous forme de films ou de créations in situ), deux ont déjà été primées : Co(te)lette (2008) et The Black Piece (2014). Sa plus récente création Accusations (2017) semble suivre ces mêmes traces.
Ses recherches portent sur les comportements humains et leurs motivations, sur la vérité sous le masque, sur le spectre des émotions et la performance du corps dansant dans différents états : « Colère, sidération, folie, angoisse, névrose, rébellion, transe, états seconds, chaos et phases libératoires, l’art ne fait pas ici dans l’économie d’énergie. Différents univers mentaux s’incarnent à travers une gestuelle singulière, impulsive, souvent saccadée. Fort en émotions, expressif, son travail est tout sauf tiède. » Source: Anne Lerey
Ses pièces chorégraphies sont toujours construites et écrites dans les moindres détails, ne laissant aucune place à l’improvisation sur scène. Elle se déclare elle-même héritière d’Anne Teresa de Keersmaeker et de Lucinda Childs, deux chorégraphes aux styles minimalistes et répétitifs. Ses plus récentes recherches incluent une utilisation de techniques audiovisuelles visant à déconstruire l’espace afin de renouveler le rapport au public en renforçant l’impact des expériences sensorielles.
Il faut noter que pendant les représentations de The Black Piece, c’est parfois la chorégraphe elle-même qui manipule sources lumineuses et caméra dans l’espace de jeu, dévoilant corps fuyants et objets divers permettant au public d’élaborer l’histoire et peut-être d’élucider un mystère présenté par bribes, dans une alternance savamment contrôlée d’obscurité et de lumière crue, de gros plans et de personnages diffus, de confort et de suspens
Les collaborateurs
Conception et chorégraphie : Ann Van den Broek
Interprétation : Louis Combeaud, Frauke Mariën, Nik Rajšek, Wolf Govaerts, Marion Bosetti
Interprétation à la création : Louis Combeaud, Jan Deboom, Andreas Kuck, Frauke Marien, Francesca Monti
Caméra et lumières en direct : Bernie van Velzen
Musique : Arne Van Dongen
Performance vocale : Gregory Frateur
Enregistrement de la voix : Nicolas Rombouts
Scénographie : Ann Van den Broek, Bernie van Velzen
Costumes : Ann Van den Broek
Consultation artistique : Marc Vanrunxt
À découvrir
Co(te)lette, filmée par le réalisateur Mike Figgis (2010) Bande annonce (01 : 12) et Making of (21: 19).
Une entrevue de la chorégraphe ici (02: 41). En anglais.
Le livre écrit par Marcelle Schots Protect/perform qui suit, sur quinze ans, le développement de la carrière artistique d’Ann Van den Broek.
Critiques du spectacle
« The Black Piece is like a dream filled with meanings that cannot be explained. It is already a highlight of the season. » Francine van der Wiel, NRC Handelsblad, September 30, 2014
« Seeing The Black Piece by Ann Van den Broek, I was reminded of Mark Rothko’s paintings… Rothko painted layer after layer for added depth. That’s an understatement; you can wander endlessly in them, descend into various depths of color and emotions… The darkness reveals itself – all senses on alert – but what you see is not what you get… Its black can be erotic, contemplative or chilling, disguised in all sorts of shapes. Like the black babushka dolls scattered across the floor… The way Van den Broek forces air between all the layers and creates an overall feeling of freedom is stunning. Mankind is caught in all those black layers. » Sander Hiskemuller, Trouw, September 23, 2014
Photos : Maarten Vanden Abeele