Chroniques du regard 2017-18 No 8 – CON GRAZIA – 14 lieux et Lorganisme
Les artistes montréalais Martin Messier et Anne Thériault ont cocréé le spectacle Con grazia. Alliant performance, installation sonore et présence robotique, cette œuvre scénique hybride est une occasion en or pour le spectateur avide de nouvelles expériences. Présenté à Méduse dans le cadre du Mois Multi, Con grazia est un concert électroacoustique qui mise sur la musicalité pouvant être produite par la transformation ou la destruction (parfois violente) d’objets usuels.
Crédit : Martin Messier
« CON GRAZIA» c’est pour vous si vous voulez faire une expérience théâtrale et performative, sonore et musicale.
« CON GRAZIA» c’est pour vous si vous aimez l’inventivité et l’originalité.
« CON GRAZIA» c’est pour vous si vous voulez vous connecter à certains de vos instincts et désirs primaires (tout en restant porté par une idée de grâce).
Le spectacle :
Voyageant de façon poreuse entre plusieurs formes d’art, le spectacle Con grazia, allie ambiances sonores et musicales avec le mouvement, la performance et le cinéma. D’une part, les actions réelles effectuées par les artistes sur scène ont un effet sur les sons et, d’autre part, les sons réels, bruts ou modifiés synthétiquement ont une influence sur les actions portées sur scène. L’ambiance est à la destruction, mais ici, tout est effectué avec grâce (con grazia). Les accessoires scéniques sont frappés, voire détruits mais la retenue est aussi de mise.
Dans ce spectacle de près d’une heure présenté en cinq sections, on assiste à beaucoup plus qu’une simple session de défoulement et d’acting-out délinquant. « We are not two completely violent people on stage breaking everything up — we don’t give out that energy. We decided to stay with something more soft, energy-wise. A lot of people would love to let themselves go but we do not allow ourselves to do so — we decided to keep it in… … the idea that destruction, even if it is seen as violent, it does not necessarily mean that it is something ugly. Destruction can be done with grace. » Source: James Oscar
Les tâches de démolition sont effectuées selon une partition précise, alliant bruits, musique et manipulation des objets. Les éclairages sont savamment intégrés au processus afin de magnifier, parfois dans un jeu d’ombres, les interactions entre les humains et les objets. L’intégration du cinéma est faite dans une scène où, sur une musique d’Arvo Pärt , une tomate martyrisée devient projection en gros plan de son calvaire, changeant tout à fait la perception que peut avoir le public de l’action brute. « Filmée en gros plan et projetée en direct, la scène de supplice, lente voire sensuelle, acquiert une dimension quasi mystique. La captation vidéo déplace l’action de théâtre vers les arts visuels. Elle la sublime en un tableau mouvant, presque néo-classique, aux touches rouge vif, produites par la tomate écrasée. L’analogie avec le corps humain est consommée. » Source : Mélanie Carpentier
L’espace scénique est aussi habité par quelques structures automatisées qui semblent parfois prendre vie et participer activement au rituel. Celles-ci peuvent foudroyer l’espace et le faire trembler, jusqu’à menacer de destruction imminente un service de vaisselle de porcelaine, que certains aimeraient peut-être voir éclater en mille morceaux.
Crédit : Martin Messier
Les créateurs :
Martin Messier fonde la compagnie 14 lieux en 2010. Compositeur et « expérimenteur » inclassable qui se spécialise dans la mise en scène d’œuvres sonores, il a exploré la musicalité de plusieurs objets quotidiens lors de spectacles précédents. Qu’ils soient machines à coudre Singer (Sewing Machine Orchestra, 2010) ou projecteurs 8 mm (Projectors, 2014), ces objets sonores sont manipulés afin d’en extraire la musique. Il déclare : «En créant 14 lieux, j’ai fait le pari que l’on peut écouter les œuvres que l’on voit, ou regarder les sons que l’on entend. Le son peut être bien plus qu’un support à la mise en scène : il peut être lui-même mis en scène. Aujourd’hui, je vois dans l’exploration du corps et de la matière une source d’inspiration stimulante et innovante. » Parmi ses collaborations avec des chorégraphes, notons Derrière le rideau, il fait peut-être nuit (2011) créée avec Anne Thériault ainsi que Hit and Fall (2011) et Soak (2012) avec Caroline Laurin-Beaucage.
Les œuvres de Martin Messier ont été présentées dans une vingtaine de pays et, au cours de sa carrière, Messier a déjà reçu de nombreux prix et distinctions pour ses spectacles scéniques, disques, performances ou installations musicales ainsi que pour un court-métrage. Il est aussi récipiendaire d’un prix reconnaissance remis à un artiste à mi-carrière par le Conseil des Arts du Canada.
Anne Thériault, membre de la compagnie Loganisme depuis 2010, est interprète et chorégraphe. Formée à l’UQAM et à l’École de danse contemporaine de Montréal, Anne Thériault a dansé pour de nombreux chorégraphes québécois dont Frédéric Gravel, Danièle Desnoyers, Emmanuel Jouthe, Benoît Lachambre et Dave St-Pierre ainsi que pour la metteure en scène Marie Brassard dans La fureur de ce que je pense (2013).
Elle crée ses propres chorégraphies depuis 2004 et participe à de nombreux projets de collaborations artistiques, notamment avec les membres du collectif La 2e Porte à gauche ou dans le cadre des Cabaret Gravel (éditions 2011 et 2015).
Les collaborateurs :
Les lumières sont de Martin Messier, Anne Thériault et de Jean-François Piché. La conception visuelle est de Thomas Payette. La robotique est de Louis Tschreiber. Le spectacle a été créé sous le regard de Patrick Lamothe et en coproduction avec le Festival TransAmériques. Les résidences de création ont eu lieu à Circuit-Est, Centre chorégraphique et au Théâtre Hector-Charland.
Les critiques :
« Martin Messier et Anne Thériault libèrent cet exquis et primitif appétit de destruction au moyen d’une orchestration scénique audacieuse et d’une électroacoustique au diapason. En émerge une œuvre complète où arts visuels, son, lumière et mouvement s’harmonisent comme on le voit rarement sur scène ». Source : Mélanie Carpentier,
« Ces apparitions brouillent les étiquettes de l’intervention scénique. En confondant le spectateur sur ce qui est à l’origine du son ou de l’action, l’objet ou celui qui l’active, le concepteur ou celui qui l’opère, ses œuvres semblent chaque fois enrichir les termes de « mise en scène » et de « performance » d’un sens premier, concret. » Source : Marion Gerbier
«… Con grazia n’est pas un défouloir mais une symphonie visuelle et sophistiquée de musique concrète. Indissociable de la performance chorégraphique et de l’installation, elle se veut une œuvre d’art transversale voire totale… …Con grazia compose une ode transversale à l’électronique dont elle explore les potentialités créatives (à l’aube de son obsolescence). Mis en circuit comme sujets, instruments et interprètes, les objets sacrifiés deviennent le terreau d’une nouvelle domination où l’humain n’a plus sa place : la machine poursuit désormais seule l’exploitation de ses « semblables ». Source : Orianne Hidalgo-Laurier
« Con grazia mérite grandement d’être vu, parce que si difficile à décrire, d’où toute son originalité. Il s’agit d’un spectacle que l’on ressent, au plus profond de nous-mêmes, beaucoup plus que l’on observe et qu’on comprend. » Source : Gabrielle Brassard
« Le jeune artiste montréalais est devenu l’une des références lorsqu’il s’agit de mettre en scène des oeuvres sonores. » Source : Adrien Cornelissen