Chroniques du regard 2017-18 No 7 BLEU. d’Yvann Alexandre
Arrivés de France pour une courte tournée québécoise, les sept membres de la compagnie Yvann Alexandre dansent « BLEU. », la plus récente création d’un chorégraphe actif depuis près de vingt-cinq ans, reconnu pour ses œuvres subtiles et son écriture chorégraphique ciselée et élégante. Un an après sa création en France, qui fut suivie d’une tournée qui les a menés jusqu’à Paris en décembre dernier, le spectacle d’une durée d’une heure est présenté deux soirs seulement à la Salle Multi de Méduse.
« BLEU. » c’est pour vous si vous aimez la danse élégante et raffinée.
« BLEU. » c’est pour vous si vous aimez les spectacles qui s’intéressent à l’humain, à ses blessures et sa résilience.
« BLEU. » c’est pour vous si vous aimez les danses de groupe, qui se font de plus en plus rares.
Crédit: Fabrizio Clemente
LE SPECTACLE « BLEU. » est dansé par cinq femmes et deux hommes et traite de ce qui advient aux personnes à la suite d’un impact, qu’il soit physique, mental ou émotionnel. Le titre du spectacle donne de nombreux indices sur sa lecture possible. La couleur évoquée est surtout celle qui caractérise une ecchymose, une blessure de la peau qui prendra avec le temps de nombreuses teintes avant de disparaître. Le point final qui termine l’unique mot de son titre arrive comme un accident, un point de rupture inévitable. Dans une phrase écrite, cette marque indélébile impose un arrêt obligatoire et une attente envers ce qui peut arriver pour la suite. C’est ce même procédé qui sera souvent utilisé par les danseurs : un arrêt, une attente de la suite, une observation méticuleuse à l’écoute de la subtilité de ce qui est en train d’advenir, ailleurs sur scène ou à l’intérieur de soi, et qui déterminera la suite des événements.
Sept danseurs sont constamment sur scène (parfois en coulisses ouvertes) comme les sept couleurs correspondant à différents états, comme les couleurs de l’ecchymose qui varient avec le temps. Les changements de rythmes sont très fréquents. Des sous-groupes sont en mutation constante. Le groupe n’est jamais tout à fait unifié car chacun garde sa spécificité, sa personnalité. Souvent, une personne s’échappe du sous-groupe en formation, ou en action, et travaille en contrepoint, parfois simplement dans une orientation différente de ses partenaires. Des trajectoires incluent parfois tout le groupe et permettent de traverser l’espace scénique dans des phrases de mouvements qui se répondent les unes aux autres, comme un écho traversant le temps.
Toute en subtilité et dans des attitudes d’attention méticuleuse, la danse évolue dans un accompagnement sonore qui flotte dans l’air comme un nuage diaphane. Alternant entre le silence et des extraits d’œuvres de musique baroque, « … les sept corps, entre souffles et émotions contenues, nous guideront au plus profond de ce qu’est la nature humaine. » Source : Centre chorégraphique national de Tours.
Indéniablement, le spectacle traite du temps. Le temps qui passe et qui permet l’adoucissement des choses. Le temps qui passe et qui permet une gestion de la douleur. Le temps qui passe et qui permet l’apparition de l’écho des choses.
La chorégraphie d’Yvann Alexandre a été créée avec la complicité des interprètes : Steven Berg, Lucile Cartreau, Anthony Cazaux, Lucie Garault, Emma Mouton, Claire Pidoux, Marie Viennot. Le spectacle a été déclaré « coup de cœur de l’édition 2017 » du Festival des scènes vagabondes de la ville de Nantes.
Crédit: Fabrizio Clemente
LE CHORÉGRAPHE, danseur et médiateur culturel Yvann Alexandre se décrit lui-même comme un « chorégraphe pèlerin ou un passeur de danse, créant au fil des territoires et des rencontres ». Source : www.culture.paysdelaloire.
Yvann Alexandre a été formé, entre autres, au Conservatoire de La Rochelle et à l’école d’Anne-Marie Porras à Montpellier. Il a composé ses premières chorégraphies et fondé sa compagnie dès l’âge de dix-sept ans. Il a créé une quarantaine de pièces présentées sur de nombreuses scènes en France et à l’étranger.
Depuis ses débuts en 1993, il est l’un des représentants d’une danse abstraite, loin des performances et des improvisations typiques d’autres chorégraphes de sa génération. Ses danses élégantes explorent la fragilité intérieure. « Ses chorégraphies se veulent une calligraphie de l’intime. Sa gestuelle, très en retenue, en délicatesse, mais d’une précision acérée, entrelace chaque détail du mouvement comme on travaillerait la dentelle. » Source : Agnès Izrine.
Sans cesse à la recherche de l’humanité dans la composition chorégraphique et des failles dans la perfection, il a su explorer la forme solo autant que les chorégraphies de groupe : « Il y a dans cet art à la fois le collectif et le solitaire, la possibilité de s’exprimer sans utiliser de mots, la rigueur et la créativité, la liberté. Il y a dans la danse plus de richesses à vivre que partout ailleurs. C’est une passion qui me fait me sentir vivant. » Source : www.parisétudiants.com
Selon la poésie du chorégraphe lui-même, il faut, plus particulièrement dans « BLEU. » : « … chercher des connections d’errance. Dans ce monde aux angles durs, faire danser des chimères dans une plaine bleutée, aux armures crâniennes boursouflées, aux gestes tendus, fermes, raidis, aux dialogues essentiels et poignets baroques, et commencer par être là. « BLEU. » va s’attacher à faire apparaître l’après impact, une pièce de l’ecchymose où la danse sera celle d’un auteur… romantique, ce que je suis. Contemporain et romantique. » Source: Portrait d’Yvann Alexandre.
LA COMPAGNIE Yvann Alexandre, créée en 1993, est une compagnie professionnelle de danse contemporaine de la région française des Pays de la Loire. Ses projets sont destinés à une variété de participants en rattachant professionnels, enseignants et danseurs en formation professionnelle aux amateurs du grand public. La fibre de la compagnie est composée de rencontres, de séances de formation et d’échanges (dont ceux avec L’École de danse de Québec), en visant sans cesse l’accès du plus grand nombre à la culture chorégraphique.
LES COLLABORATEURS
La musique est de Jérémie Morizeau, inspiré de Bach, Schubert et Couperin. Conseiller musical : Jean-Louis Moissonnié. Les lumières sont d’Olivier Blouin. La création des chimères a été faite grâce au mécénat de Pascal Guyon, coiffeur.
Crédit: Fabrizio Clemente
LES ACCESSOIRES
Le tapis de danse est perçu comme une sorte de peau qui reçoit l’impact de la danse. Une peau sur laquelle les interprètes laissent des traces qui seront sublimées pour devenir matière visible dans les mouvements subséquents effectués au même endroit (ou dans la suite d’une séquence qui sera continuée plus tard). Une peau qui pourra devenir marquée par le temps et les impacts.
Les chimères (perruques stylisées) portées en première partie du spectacle se veulent casque protecteur, mais aussi rappel des images de geishas et de samouraïs. Chacune possède son caractère et peut aider à définir les personnages. L’enlever, c’est se mettre à nu. Risquer la rencontre. Risquer de recevoir des coups.
Les blocs au sol symbolisent un cimetière des coups passés. Les pierres rappellent le passé et sont parfois déplacées pour changer la configuration de l’espace disponible aux danseurs.
LES CRITIQUES
« Avec une équipe très féminine (cinq femmes pour deux hommes), BLEU. développe une énergie masculine, combative, haletante. Une œuvre qui se pose dans un silence inquiétant, que seuls viennent troubler de rares fragments musicaux, fantomatiques, d’où sourd une émotion palpable. » Source : Agnès Izrine.
« … tous ressortent conquis, saluant la performance technique des danseurs et la beauté de la chorégraphie. » Source : www.atelierdesinitiatives.org.
« Si le chorégraphe reste fidèle à une gestuelle et à une esthétique qui lui sont propres, chacune de ces pièces compose un puzzle où transpirent l’humanité et ses émotions. » Vincent Braud.
Crédit: Fabrizio Clemente
LES LIENS EXTERNES
Un reportage télé sur BLEU. de CAMÉRA numéro 2, ici.
Une présentation de la compagnie Yvann Alexandre ici.
Quelques images des œuvres précédentes d’Yvann Alexandre : La pudeur de l’écho, Les fragments mobiles in situ ici et ici, Forteresses et Cloud ainsi que l’intégrale de Les soli noirs.