Chroniques du regard 2017-18 No 6 « Mille batailles » Louise Lecavalier
Louise Lecavalier sera au Grand Théâtre pour deux soirs dans sa chorégraphie Mille batailles. Dans ce spectacle d’une soixantaine de minutes, la chorégraphe et interprète est accompagnée sur scène de deux comparses, le danseur Robert Abubo et le musicien-compositeur Antoine Berthiaume. Porté par une trame musicale créée spécifiquement pour le projet et jouée en direct sur scène, le personnage de Lecavalier est librement inspiré du roman « Le chevalier inexistant » d’Italo Calvino. Il se retrouve dans une folle chevauchée, accompagné, soutenu et parfois confronté par un autre personnage aux multiples fonctions : son aide de camp, son ombre, son complément, son complice ou sa Némésis.
Crédit: André Cornellier /Chorégraphe : Louise Lecavalier
Interprètes: Louise Lecavalier & Rob Abubo
« Mille batailles » c’est pour vous si vous voulez voir la plus récente création de Louise Lecavalier, une grande personnalité de la danse québécoise et internationale.
« Mille batailles » c’est pour vous si vous aimez les spectacles envoûtants et captivants.
« Mille batailles » c’est pour vous si vous voulez être transporté dans un univers scénique très finement ciselé du point de vue chorégraphique, musical et scénographique.
Crédit: Katja Illner /Chorégraphe : Louise Lecavalier
Interprètes: Louise Lecavalier & Rob Abubo
Le spectacle
Présenté sur scène pour la première fois en février 2016 en Allemagne, Mille batailles a, depuis, été diffusé dans de nombreuses villes d’Europe, au Mexique et en Amérique du sud, ainsi qu’à deux occasions à Montréal (FTA en juin 2016 et Usine C en mars 2017). Le titre de l’œuvre chorégraphique peut évoquer autant les mille combats du quotidien que les tourments plus profonds, voire les quêtes existentielles ou mystiques qu’affrontent devant nous (pour nous!), le chevalier et son fidèle comparse.
Après un an passé en studio en période de recherche et de création, le chevalier créé par et pour Louise Lecavalier se présente au public en neuf tableaux (neuf rounds !) liés les uns aux autres, sans pause pour le spectateur, mais avec quelques courtes pauses hydratation pour Lecavalier. Au début, ses déplacements exécutés en solo, sur demi-pointe et les genoux serrés, donnent l’impression de voir un insecte flotter sur l’eau. Tout au long, les gestes sont fascinants. Sur un champ de bataille qui prend parfois l’allure d’un ring de boxe, elle effectue, souvent avec un humour un peu absurde, une danse sans pitié, électrique et épuisante composée de vibrations et d’agitations nerveuses, de sautillements et de tressaillements, de courses statiques ou de déplacements qui quadrillent l’espace. Ces moulins, tournoiements et pivots réussissent à l’amener parfois dans ce qui peut sembler une transe hypnotique.
La danse est à la fois mécanique et très vivante. Les mouvements sont toujours vifs et faits dans l’urgence. « Parfois semble-t-elle éviter mille projectiles, avec une agilité impressionnante dans la répétition, parfois semble-t-elle être l’auteure de ces mille microattaques, lancés avec l’acharnement que seul un accro du dépassement pourrait rendre possible. » Source : Audray Julien.
Dès le troisième tableau du spectacle et jusqu’à la fin, elle est rejointe dans sa quête par un compagnon de route avec qui elle embarque dans des batailles variées qui semblent donner un sens à leur existence. Ces batailles qui ne cessent jamais sont toujours éphémères, sans ménagement et un peu chimériques. Les pulsions de base des combattants sont toujours profondes ainsi que vitales et le compagnon, souvent du même côté qu’elle dans la bataille, devient parfois son opposant : « … dès l’entrée en scène du second danseur, on ne se retrouve pas dans cette dynamique de séduction. Ces Mille batailles ne seront pas celles de l’amour et du désir, mais d’un tout autre ordre. Abubo sera tantôt monture, tantôt écuyer, il sera l’ombre comme il sera l’allié, l’ennemi à abattre qui restreint le mouvement, tout en fournissant l’élan qui permettra de poursuivre la quête lorsque tout effort supplémentaire semble impossible. Source : Jérémy Laniel.
L’éclairage qui découpe et définit l’espace selon les sections est magnifique. Partant d’un décor très simple fait d’un mur de contreplaqué, l’univers proposé change souvent, passant d’un échiquier à un ring de boxe à un univers plus indéfini et ouvert sur l’infini, porté par une simple ligne de lumière colorée.
Dans Mille batailles, Louise Lecavalier s’engage totalement dans la danse et elle y poursuit sa recherche chorégraphique, toujours fondée sur le dépassement d’elle-même. Ses prises de risque et les efforts déployés témoignent de sa quête. « Traversés par une énergie électrique, les corps s’y révèlent, en fin de compte, sauvages. Non pas dans le sens de violents ou bestiaux, mais comme l’est le cheval : débridé, libre, naturel. Et c’est cette petite chose précieuse que nous offre, en toute simplicité, Louise Lecavalier. » Source : Iris Gagnon-Paradis.
La chorégraphe et interprète
Louise Lecavalier est une icône de la danse contemporaine. Elle a fondé sa propre compagnie, Fou Glorieux, en 2006 après avoir dansé avec La La La Human Steps pendant près de 20 ans. Au cours de sa carrière, elle a reçu de nombreux honneurs : prix de la danse de Montréal (2011), prix Léonide Massine (2013), prix du Gouverneur général et Grand Prix du Conseil des arts de Montréal en 2014. Cette année, elle recevait le prix Denise-Pelletier, la plus prestigieuse distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine des arts de la scène. (Le texte complet de son allocution est disponible à la fin de la chronique.)
Combattante dans ses entraînements, elle amène cette pugnacité dans ses œuvres chorégraphiques, surtout dans Mille batailles : « J’ai eu beaucoup de plaisir à créer cette pièce parce qu’elle combinait divers éléments qui m’intéressent. L’urgence, le plaisir esthétique, l’aspect graphique, le narratif et l’absurde. Et surtout le combat. Le plus qu’humain dans l’humain. » Source : Oliver Koomsatira.
Les danses qu’elle a composées pour elle-même sont exigeantes et souvent extrêmes. Elles découlent d’enregistrement de ses propres séances de travail en studio et c’est à travers ce filtre d’observation qu’elle a pu objectiver le personnage qu’elle incarne maintenant sur scène : « C’est-à-dire qu’elle filmait ses répétitions sur iPad. Elle visionnait ensuite les extraits captés. Avec détachement. Et fascination. Comme si c’était une autre qu’elle qui bougeait à l’écran. » Source : Karine Tremblay.
Le personnage est né ainsi, dans la distanciation. La chorégraphe l’a ensuite fait parcourir des distances imaginaires, embarqué dans des combats insensés : « Ce personnage était réinventé à mon gré à partir d’autres personnages côtoyés dans les films de Miyazaki : un baron/bâton, une ombre qui glisse sans visage, une jeune fille/vieillarde, des êtres transformés, mais la plupart du temps je me suis inspirée du fier et rigide Chevalier inexistant. Une bonne partie des danses est née comme ça, il y avait l’idée d’un cheval aussi, le personnage et son cheval pouvaient se fondre et devenir un autre personnage imaginaire. » Source : Oliver Koomsatira.
Mille batailles est une danse de quête et de résistances : « La danse est ma façon de résister. Résister contre, résister pour. Contre la mort et l’affaissement, la peur… Pour la vie et rester debout. Je ne me bats pas pour la danse, ma danse est une bataille perpétuelle. » Source : Oliver Koomsatira.
Les collaborateurs
Le concept et la chorégraphie sont de Louise Lecavalier, avec assistance à la chorégraphie et direction des répétitions par France Bruyère. La conception des lumières est d’Alain Lortie. Les costumes sont d’Yso. La musique originale, jouée sur scène, est d’Antoine Berthiaume La musique additionnelle est de Steve Roach. (La bande sonore du spectacle Mille batailles (Battleground) est disponible en ligne sur spotify et iTunes).
Aux côtés de Louise Lecavalier sur scène, on retrouve le danseur Robert Abubo, son ancien partenaire dans les pièces de Tedd Robinson. Il fut longtemps lié au Groupe Lab de danse à Ottawa et à Dancemakers à Toronto.
Les critiques
« Il n’y a pas une seule seconde à retirer de ce spectacle. Parfois sautillants, frétillants, ils trottent, ils courent, ils s’imitent, ils tournent et reviennent sur leurs pas. La superstar de la danse contemporaine, spécialiste des vrilles qui ont fait sa renommée, les effectuent ici en se roulant sur les quatre côtés de l’arène, un décor qui se construit à mesure grâce aux éclairages astucieux d’Alain Lortie. » Source : Gilles G. Lamontagne.
« Elle incarne (le personnage) avec fougue et brio, dessinant dans l’espace des figures et enchaînements d’une diversité, d’une richesse et d’un éclectisme réellement étonnants, vibrations nerveuses en parfaite harmonie avec la musique pour guitare électrique et synthétiseur d’Antoine Berthiaume. Source : Jean Marie Le Gourreau.
« Louise Lecavalier affiche encore l’étendue de son talent dans une proposition où elle brille toujours sans surligner en gras les prouesses techniques qui peuplent pourtant ses Mille batailles. À la façon de ce chevalier inexistant, elle s’efface derrière le mouvement, elle s’efface derrière elle-même, se donne entière et juste, livrant ainsi un grand moment de danse, démontrant la force de frappe des corps comme réels catalyseurs narratifs. » … « La force de la performance de Louise Lecavalier réside dans son jeu, ou plutôt dans son absence de jeu, sous cette armure où elle reste impassible et où, pourtant, sa corporalité canalise une énergie électrique qui transcende l’espace scénique. Chez Lecavalier, le mouvement est parole, action, émotion, telle une armée qui happe le public de plein fouet en une charge incessante de plus d’une heure. » Source : Jérémy Laniel.
« The approving roar of the audience at the end of the piece was deafening, and not unexpected. Lecavalier is a true star, one of those rare performers able to capture the public’s heart and soul. » Source: Philip Szporer.
« Avec Mille batailles, Louise Lecavalier arrive à renouveler son langage chorégraphique, tout en préservant ce qui fait son essence et son génie. » Source : Samuel Pradier.
Les liens externes
– Allocution complète de Louise Lecavalier prononcée lors de la remise du prix Denise-Pelletier, le 1er novembre 2017. Ici.
– Le roman Chevalier inexistant de l’écrivain Italo Calvino fait partie de la trilogie « Nos ancêtres », qui comprend également Le vicomte pourfendu et Le baron perché. Pour une explication ludique du roman (Alchimie d’un roman, épisode n°28, Jean-Philippe Depotte), c’est ici.Pour une étude savante du livre (Presses universitaires de Rennes, Isabelle Durand-Le-Guern), c’est ici.
– Mes deux autres chroniques sur les spectacles précédents de Louise Lecavalier : So Blue (saison 2014-15) et Children et A Few Minutes of Lock (saison 2011-12).
– Film documentaire réalisé par Raymond St-Jean sur Louise Lecavalier : informations ici et ici.