Chroniques du regard 2015-2016 – L’Éveil par Harold Rhéaume et Marie-Josée Bastien
Pour la cinquième fois déjà, je suis de retour avec mes Chroniques du regard, une série de courts textes présentant chacun des spectacles de la saison courante de La Rotonde. Cette année encore, je débute en présentant brièvement :
1.- Ma méthode d’écriture (je n’écris pas de critique mais plutôt des mises en contexte du spectacle, en y situant les courants esthétiques, artistiques ou sociaux particulièrement actifs).
2.- Les buts de mes chroniques (vous donner quelques clés de lecture du spectacle ainsi que des pistes élargies de découvertes autours de celui-ci).
3.-Mes vœux renouvelés chaque année (vous retrouver en chair et en os dans les salles de spectacle à profiter d’un art vivant qui trouve sa raison d’être en se construisant devant vous, le public attentif).
Les temps changent, les œuvres restent. Bien que l’on traite ici d’œuvres de danse, dont la nature intrinsèque est éphémère et surtout retenue dans le temps par les souvenirs et impressions qu’en gardent les spectateurs, un petit retour vers les années passées m’a fait remarquer que plusieurs chorégraphies présentées lors des saisons antérieures de La Rotonde sont toujours vivantes et pour la plupart en tournées internationales En 2011, j’écrivais, à la main, dans un cahier de notes lors d’un stage que je donnais à l’Université de Mexico, ma première chronique sur la chorégraphie S’envoler d’Estelle Clareton. Cinq ans plus tard, ce spectacle continue toujours sa diffusion et était, entre autres, le printemps dernier en France et en Allemagne.
En continuant ma courte recherche (restreinte au premier spectacle des différentes saisons), je remarque aussi la chorégraphie Complexe des genres de Virginie Brunelle, présentée ici en début de saison 2012. Celle-ci poursuit aussi sa vaste diffusion, en tournée cette année au Brésil, aux Pays-Bas, en Italie et au Mexique.
Ce ne sont que deux exemples de la grande pertinence des différentes programmations de La Rotonde qui présente chaque année, depuis plus de 15 ans, des artistes de provenance locale, nationale ou internationale. Le public de Québec, chanceux d’avoir un accès direct à de nombreux artistes variés qui arrivent avec leurs productions contemporaines, souvent innovatrices et porteuses des courants artistiques les plus novateurs et actuels, sera encore une fois choyé cette année par une riche programmation. Celle-ci commence d’ailleurs par la présentation du nouveau spectacle d’un artiste local, mais pas le moindre. Il s’agit ici de L’Éveil du chorégraphe Harold Rhéaume (Cie Le fils d’Adrien danse) qui sera sur les planches du Théâtre Le Périscope, du 29 septembre au 10 octobre. Le reste de la programmation de cette année (10 spectacles au total) sera encore une fois remplie d’heureuses surprises et de découvertes qui pourront tout à tour nous éblouir, nous toucher, nous questionner, voire nous choquer. N’est-ce pas là l’essence de l’art ?
Pour L’Éveil, son premier spectacle de la saison, La Rotonde intègre un de ses multiples mandats de diffuseur spécialisé en présentant en codiffusion avec le Théâtre Périscope une compagnie locale très populaire et grandement appréciée du public. Pour cette production, Harold Rhéaume, chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Le fils d’Adrien danse, s’est associé de nouveau à l’auteur et metteur en scène Marie-Josée Bastien, de la compagnie de Québec Le Théâtre Les Enfants Terribles afin de créer un spectacle alliant danse et théâtre. Les deux artistes se retrouvent donc à collaborer de nouveau au Théâtre Périscope quelques années après avoir y avoir présenté le très apprécié spectacle On achève bien les chevaux (présenté en première en 2006, puis repris en 2007 et 2010).
Reconnu pour ses créations qui touchent trois créneaux distincts : grand public (Morta, Clash, C.O.R.R., NU et Fluide), jeunesse (Les cousins, Variations mécaniques, F.U.L.L.) et in situ (Je me souviens, Le Fil de l’histoire), Harold Rhéaume a aussi récemment chorégraphié pour Le Cirque du Soleil: événement Boxing Day à Londres et Joyà à Riviera Maya au Mexique, ainsi que pour la jeune compagnie Machine de cirque. Harold est aussi un grand vulgarisateur, rencontrant sans cesse journalistes et curieux afin d’aider à démystifier le monde à la fois si simple et si complexe de la danse contemporaine : voir trois reportages ici, là ou encore ici.
Plusieurs de ses spectacles se sont intéressés à la jeunesse et à la construction de l’identité. Son nouveau spectacle L’Éveil poursuit dans cette foulée. Après des extraits présentés dans différents cadres en 2014 (Chantier du Carrefour international de théâtre de Québec, festival Les Coups de Théâtre et spectacle de La bourse RIDEAU 2015), l’intégrale arrive au Théâtre Périscope avant d’aller à Montréal pour ensuite faire un petit tour en France en novembre.
Dans ce spectacle d’environ une heure, chorégraphié par Rhéaume et écrit par Marie-Josée Bastien, en collaboration avec Steve Gagnon, les thèmes de l’éveil de l’adolescent par rapport à lui-même et au monde sont déclinés de plusieurs façons, la plupart du temps en courts tableaux dont les titres apparaissent en fond de scène grâce à la vidéo. Les créateurs comparent ces scènes à des cartes postales intimes. Elles sont présentées en rafale, sans mises en situation, ni avant, ni après, dans une urgence et une intensité typique du monde adolescent obnubilé par son immédiateté. Dans une mise en scène épurée, la vidéo (Eliot Laprise), utilisée tout au long du spectacle, prend parfois un rôle important, devenant elle-même un personnage ou se retrouve parfois comme en conversation avec l’action qui se passe sur scène. Les musiques (Josué Beaucage) et les éclairages (Antoine Caron) sont tout à fait au service du propos du spectacle.
Les thèmes du spectacle, puisés à l’origine du projet dans une pièce de théâtre de Frank Wedekind (L’éveil du printemps, 1881) ont été surtout nourris des expériences contemporaines des six interprètes (trois hommes et trois femmes, des comédiens qui dansent et des danseurs qui jouent) et du vécu de certains participants à quelques ateliers tenus en cours de recherche et création. Ces thèmes qui traversent les âges passent par l’éveil du désir et de l’absolu, par les sentiments d’invincibilité, par les désirs antinomiques d’indépendance et d’appartenance, mais aussi par l’éveil de l’angoisse dans la conscience de soi, des autres et du vaste monde.
L’Éveil, c’est pour vous si vous aimez les spectacles de danse et de théâtre construits de façon claire et limpide, dans une structure où vous ne risquez pas de vous perdre.
L’Éveil c’est pour vous si vous appréciez retrouver de l’humanité dans les thèmes et les performances scéniques tout en ayant la possibilité de connecter votre propre expérience de vie à ce que vous voyez se déployer sur scène (nous sommes tous passés par « l’état adolescent »).
L’Éveil, c’est pour vous si vous avez aimé et apprécié les œuvres précédentes des créateurs Rhéaume et Bastien.