Chroniques du regard 2013-2014, No10: Noire d’Annie Gagnon
Le spectacle
En recherche et création depuis la fin 2012, la chorégraphie « Noire » d’Annie Gagnon s’annonçait grave mais, depuis le début du projet, l’idée a maturé. Elle s’est transformée et allégée. Son argument de départ (et un extrait présenté à Émergences chorégraphiques en novembre 2012[i] ) nous amenait dans une ambiance de ruines, dans des vies mises à l’envers et dans des lieux où l’espoir jaillit, mais sous les décombres de villes bombardées.
Au départ, inspirée par une période noire de sa vie et intégrant une certaine connaissance de la réalité du conflit politique de Tchétchénie, la chorégraphe (qui a visité la Russie à plusieurs reprises) a profité de ce projet pour continuer une recherche gestuelle sur la fragilité de la vie[ii] et la perte des repères. Dans ce projet, elle poursuit ainsi le développement d’un langage chorégraphique original, comportant déjà une signature gestuelle reconnaissable, phénomène assez rare chez les jeunes chorégraphes.
Soutenue par des collaborateurs expérimentés et créée en partie en résidence à La Rotonde, centre chorégraphique contemporain de Québec, cette œuvre est donc devenue un peu plus légère que son propos de base l’annonçait. Tout en continuant à miser sur un travail corporel exigeant (les deux danseuses-interprètes y sont en marathon), Annie Gagnon crée une gestuelle précise qui prend place sur et dans quelques objets usuels, eux-mêmes inclus dans une scénographie imposante de Guylaine Petitclerc. Éclairé par Caroline Ross, le lieu scénique est aussi habité par un musicien: Raphaël Dubé y promène son violoncelle, jouant « live » quelques compositions originales de Diane Labrosse et Katia Makdissi-Warren.
La chorégraphe
Après avoir complété une maîtrise en anthropologie (Université Laval, 2005), Annie Gagnon change son parcours professionnel et débute une formation en danse contemporaine dans le programme de formation supérieure de L’École de danse de Québec. Elle en ressort diplômée en 2009. Dès sa sortie de l’école, elle danse dans l’événement Osez! à Québec (chorégraphes Mélanie Demers et Catherine Tardif) et à Newport (chorégraphe Louise Bédard). Elle fait aussi partie de la distribution de Cinq Humeurs (Emmanuel Jouthe), de La Noce (Harold Rhéaume) et de 275 km du collectif Rencontre sur l’autoroute.
Ensuite, elle devient interprète pour le théâtre des Incomplètes (Les Noctambules), le metteur en scène Hanna Abd El Nour (Imagination du monde) et le chorégraphe Mario Veillette (Père et Mère et Bach, le mal nécessaire[iii]), entre autres. On l’a aussi vu lors des matchs d’improvisation et du spectacle Œuvre sociographique de la compagnie Code Universel.
En tant que chorégraphe, elle présente en 2010 D’Eux et Éphémère. En 2011, elle produit un programme double, diffusé par La Rotonde, comprenant Cocoon (chorégraphie : Annie Gagnon) et Les larmes d’Anna K. (chorégraphie : Louise Bédard). En 2012, elle chorégraphie 2.__, un court duo (à la base du spectacle Noire), diffusé par La Rotonde à Québec et par Tangente à Montréal. Finalement, elle chorégraphie en 2013 pour les finissantes du programme danse-interprétation de L’EDQ, sous l’égide de sa compagnie « D’Eux »[iv], fondée en 2012.
Il faut aussi noter qu’il existe deux jeunes femmes actives dans le milieu de la danse contemporaine au Québec qui portent le nom Annie Gagnon. Celle dont il est question depuis le début habite et fait carrière presqu’exclusivement ici à Québec. L’autre, basée à Montréal, vient quand même nous visiter régulièrement.[v]
Les interprètes
Les deux interprètes Mélanie Therrien et Isabelle Gagnon sont deux danseuses d’expérience diplômées de l’EDQ (respectivement en 1999 et 2004). Deux femmes de petit gabarit (ce que recherchait la chorégraphe), elles sont vues régulièrement sur les scènes de danse et de théâtre à Québec. Fort talentueuses, elles sont énergiques et n’ont pas peur de se défoncer, particulièrement dans la chorégraphie exigeante qu’est Noire, dont les écoulements de sable du plafond peuvent mettre Isabelle au défi et dont une structure en pente abrupte demande à Mélanie de déployer des efforts impossibles au commun des mortels.
Notre milieu de danse contemporaine, qui vise à devenir un pôle incontournable de la danse professionnelle au Québec[vi], comprend toute une variété d’approches et de styles chorégraphiques. Lors des activités de « Événement Danse Québec» qui se tient en plusieurs lieux cette semaine[vii], de multiples facettes des activités courantes en danse à Québec seront présentées. Le spectacle Noire, en plus de faire partie de la saison régulière de La Rotonde, est cette année intégré dans les présentations et activités diverses dans l’édition locale[viii] de cet événement national.
Les objectifs de la Journée Internationale de la danse (lancée en 1982 par L’UNESCO)[ix] sont de réunir le monde de la danse, de rendre hommage à la danse, de célébrer son universalité et, franchissant toutes les barrières politiques, culturelles et ethniques, de rassembler l’humanité toute entière en amitié et paix autour de la danse, langage universel. Chaque année, un message au public est écrit par une personnalité de la danse, allant de Merce Cunningham (1990) à Kazuo Ohno (1998) en passant par William Forsythe (2001), Mats Ek (2003), Sasha Waltz (2007) et Sidi Larbi Cherkaoui (2012). Cette année le message international est écrit par le chorégraphe français Mourad Merzouki, qui dit son texte dans une très belle vidéo promotionnelle : https://youtu.be/cy_c6250I1E (03 : 50). Le message canadien, quant à lui, est écrit par Santee Smith, directrice artistique de la troupe Kaha:wi Dance Theatre :
« Que la danse anime votre vie. Faites place à la danse dans votre vie; que la danse l’inspire. Que la danse lie votre esprit au monde des vivants. Que la danse exprime la puissance de votre âme, votre volonté d’exister, ici et maintenant. Que la danse résonne de votre mémoire ancestrale, afin que votre ADN déploie ses vrilles jusqu’aux générations futures. Invitez votre corps à se mouvoir, à parler cette langue sans mots. Dansez la poésie de vos rêves. Découvrez en vous ce paysage intérieur qui n’aspire qu’à s’incarner. Fermez les yeux pour mieux retrouver le rythme des battements de cœur, la première des musiques perçues par la conscience des hommes. Soyez témoin de ce corps particulier qui danse, là et maintenant, ou étonnez-vous de cette foule qui bouge en un ensemble parfait. Que la danse témoigne de votre transfiguration métaphorique, artistique, rituelle, cérémonielle et extatique. Que la danse vous énergise, vous revitalise. Renouez vos liens avec les rythmes de la Terre. Engageons-nous dans la voie de la guérison et envers nous-mêmes pour mieux ainsi danser ensemble notre humanité. Laissez la danse transformer la vie… Joignez-vous à la célébration et la cérémonie de la vie; joignez-vous à la danse ».
[ii] Préoccupation à la base des « personnages-insectes » de Cocoon, chorégraphie présentée en 2011.
[iii] https://www.larotonde.qc.ca/2013/11/bach-mal-necessaire-spectacle-lon-mixe-musique-classique-art-audio-costumes-loufoques-mouvements-groupe-danse-contemporaine/
[iv] https://www.ladansesurlesroutes.com/fr/compagnies/annie-gagnon-choregraphe-independante-deux/2013/general/
[v] On a pu la voir récemment au Musée de la civilisation (Exposition Samouraï), au Grand Théâtre dans le spectacle Danse Lhasa Danse, deux fois au programme du Bloc-Danse et dans l’événement « La petite scène » au Cercle le mois dernier.
[vi] Sur son site web, le Conseil de la culture de Québec et Chaudière-Appalaches rappelle que « plus de 40 ans d’histoire marquent le cheminement de la danse professionnelle à Québec. Celle-ci s’est taillée une place significative dans la vie culturelle de la ville et même à l’extérieur, au point où elle est maintenant considérée comme un pôle incontournable de la danse professionnelle. La ville compte en effet sur la présence de compagnies, de chorégraphes et d’interprètes établis, dont plusieurs sont reconnus à l’échelle nationale et internationale. Les compagnies de Québec font d’ailleurs partie des compagnies québécoises qui effectuent le plus de tournées au Québec ».
[vii] Ces activités, qu’elles soient « Journée Internationale de la danse », « Semaine nationale de la danse » ou « Événement Danse Québec » sont habituellement tenues autours de la dernière d’avril. Elles commémorent, le 26 avril, le jour anniversaire de la naissance du danseur et chorégraphe français Jean-Georges Noverre (1727-1810), créateur du ballet moderne.
[viii] Pour la programmation locale, voir le site du Conseil de la culture : https://www.culture-quebec.qc.ca/evenement-quebec-danse-2014/programmation-2014/
Pour le programme détaillé des activités de la semaine nationale de la danse, voir aussi :
https://www.cda-acd.ca/fr/programs-services/international-dance-day
https://www.quebecdanse.org/agenda#!programmation=serie$activits-dans-la-rgion-de-qubec/2207
[ix] Et dont la première édition à Québec date de 1999.