Chroniques du regard 2012-2013, no 9 : Compagnie Animals of Distinction, « Heart as Arena » de Dana Gingras
On communique directement avec les gens, de personne à personne. On peut aussi communiquer à travers les ondes radio. La communication implique la connexion et, pour recevoir une communication, il suffit de trouver la bonne fréquence. C’est à partir de cette prémisse et avec ce concept de réceptivité/transmission que les artistes de la compagnie Animals of Distinction ont créé la chorégraphie Heart as Arena de Dana Gingras.
Pour la mise en scène de cette idée, on trouve d’abord dans l’espace scénique une série de radios de style ancien installés dans les airs. Ils sont accrochés dans une forme arrondie qui délimite l’arène du titre. Ensuite, d’autres appareils seront répartis au sol de manière plus aléatoire. Ces radios émettent une série de musiques assez disparates, d’origines et d’esthétiques diverses, allant d’extraits de l’opéra Norma de Bellini à de la pop thaïlandaise (les connaisseurs de danse nostalgiques reconnaîtront même des extraits de la bande sonore d’In Paradisum1), en passant par des musiques plus industrielles et même des segments uniquement composés de statique et de bruits de fond.
Dès la première scène, les danseurs entrent en portant avec eux des radios, semblables à ceux qui resteront accrochés autours d’eux. Ils semblent chercher à syntoniser la bonne fréquence ou le bon poste, semblent chercher à obtenir la meilleure réception possible. Cette quête, ils continueront à la faire, en mouvements, tout au long du spectacle. La musique qu’ils recevront (ou provoqueront ?) fait partie d’un montage proposé par l’artiste Anna Friz (conceptrice de la bande sonore ainsi que du système de transmission).
Les danseurs, tout autant que les spectateurs, seront amenés à travers une variété de situations émotives. Tout au long du spectacle, les cinq danseurs s’attirent et se repoussent, tels des particules élémentaires. Après s’être abandonnés un temps dans un univers émotif donné, ils semblent ensuite être emportés malgré eux sur des trajectoires dictées de l’extérieur, comme connectés aux ondes venues d’ailleurs, traduites par les radios sous forme de musique.
Les scènes seront variées et les perturbations fréquentes. Les ondes reçues activent les danseurs de différentes manières faisant partie d’un large registre. Parfois les réactions sont électriques, très animées voire violentes. Parfois, les danseurs sont plutôt apathiques envers le monde qui les entoure.
Tout au long du spectacle, les signaux arrivent et se perdent rapidement. Cette mini-société semble chercher sans cesse, mais sans succès, à s’accorder à une fréquence idéale qu’ils ne recevront jamais. Les corps finissent par se contorsionner de manière un peu absurde, comme celui qui tombe en convulsion vers la fin du spectacle ou celui de Dana Gingras, dans la dernière scène, qui semble orienter de manière étonnante chacune des portions de ses extrémités à la recherche du signal « idéal » lui permettant de continuer sa vie.
Tous ces éléments sont présentés dans un spectacle d’un peu plus de 60 minutes. Les mouvements sont contemporains, les thèmes actuels et les danses fort bien exécutées. Ce spectacle est à conseiller pour tous ceux qui apprécient les présentations à l’esthétique surréaliste à la David Lynch (bizarre, atmosphérique, étrange et légèrement effrayant). Ils sauront apprécier la narration complexe et non-linéaire, le manque de repères temporels (sommes-nous en 1940, 1960 ou en pleine époque disco ?), les relations et les pairages un peu zombie, les couples qui se font et se défont, sans attachement ni déchirement. Ils pourront se délecter de l’impression globale d’un groupe de personnes rassemblées, dans lequel tout le monde parle mais où personne n’écoute ni ne communique avec les autres. Tout cela m’a un peu rappelé la série web Les Invités 2, son atmosphère de science-fiction, quand les morts se retrouvent dans un endroit inconnu dont ils ne connaissent pas les codes (ce qui était aussi le thème d’In Paradisum).
Dans tout ce bruit et cette fureur, les interprètes s’abandonnent à leurs envies primaires tout en continuant sans cesse leurs luttes de pouvoir entre eux. Les gestes sont souvent saccadés, les phrases de mouvements courtes et les pauses fréquentes. Comme s’ils revenaient parfois à la charge et essayaient de régler leurs conflits mais que, ce faisant, ils perdaient les signaux de ce qu’ils étaient en train de faire ou qu’ils perdaient les signaux de communication entre eux.
Un peu de tristesse se dégage aussi de l’œuvre à force de regarder ces personnages qui font des pieds et des mains pour se faire entendre de l’autre, sans y parvenir, quand tout le monde parle personne n’écoute…3
Quelques liens Internet concernant directement la chorégraphie Heart as Arena
1. Une des bandes annonces du spectacle. Elle peut donner une idée d’une des nombreuses ambiances du spectacle. (02:31)
2.- Et un court reportage de Radio-Canada TV (Colombie-Britannique) sur le spectacle (01:45)
Liens vers d’utres productions de Dana Gingras
3.- Vidéo officielle pour la chanson Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) du groupe Arcade Fire. https://youtu.be/awHWColYQ90 (05 :41)
4.- Dances for Dzama, chorégraphie de Dana Gingras
5.- Aurelia, court-métrage chorégraphié et coréalisé par Dana Gingras (03: 05)
6.- Extraits de Smash Up! (saison 2008-2009 de La Rotonde) (01: 22)
7.- La performance devant public What is Mine is Yours (2010) (05 : 07) durant laquelle un duo mange des citrons à même la bouche de l’autre. Et une courte version filmée de What is Mine is Yours
(01 : 06)
1 Pour voir la première partie de In Paradisum, chorégraphie de James Kudelka créée en 1983, sur la musique de Michael J. Baker. Reprise ici par la Compagnie Coleman Lemieux en 2010. (07 : 42)
2 La Web-série Les Invités sur TOU-TV
3 François Dufort, ANALOGIES HEART AS ARENA DE DANA GINGRAS (COMPAGNIE ANIMALS OF DISTINCTION)