Chroniques du regard 2012-2013, No 8 : Compagnie Danse K par K, Trois paysages de Karine Ledoyen
Du vent dans les voiles
Dans sa nouvelle chorégraphie Trois paysages, Karine Ledoyen continue à s’intéresser à la mise en scène de l’élément Air, qui était aussi le titre de sa création précédente. Sa recherche passe cette fois par l’utilisation d’une machine merveilleuse qui fait office d’installation scénique. C’est ici l’élément le plus imposant et le plus intrigant du spectacle. Créée par le compositeur de musique Patrick St-Denis, il s’agit en fait d’une machine éolienne animée par des ventilateurs.
La structure est en elle-même une magnifique installation. Comment ne pas être hypnotisé par ce mur aux multiples utilisations? Ce mur puissant, pourtant léger et malléable, qui participe à la musique du spectacle et qui, par sa modulation dans l’espace scénique, crée des zones très différentes d’une section (paysage) à l’autre.
Présentée d’abord comme étant un mur tranquille pouvant devenir écran, la structure dévoile graduellement ses possibilités grâce aux feuilles la composant, qui bougent dans des mouvements aléatoires ou ordonnés. Des mouvements de vagues ou sériels qui sont parfois parallèles, parfois symétriques. Cette structure, dans ses mouvements, est très bien intégrée et mise en relation avec le reste du spectacle. Mais, dans ce spectacle, il y a plus.
Car le spectacle est une réussite. Et je m’explique en présentant ici un regard plus critique qu’à l’ordinaire. Pour ma part, je trouve qu’enfin Karine Ledoyen a trouvé la manière de faire «respirer» le spectacle. Ayant toujours été un peu étouffé par l’exubérance de ses propositions et l’esthétique qu’elle nous proposait, j’ai aussi toujours trouvé prématurés les commentaires critiques lus ou entendus qui parlaient de «toucher au sublime» ou de «maturité artistique» dès 2008.
Mais dans ce spectacle, une clarté et une simplicité s’imposent. Pour la première fois, dans mon œil, l’installation scénique est en osmose avec le reste. La danse, la musique et la scénographie s’appuient mutuellement sans s’écraser. Un élément de risque (et de surprise pour un spectateur) est aussi rajouté à chaque représentation, avec succès. Cet élément, crucial pour le bon déroulement du spectacle, rajoute un attachement émotif de la part des spectateurs pour ce qui se passe sur scène. La chorégraphe, en collaboration avec le metteur en scène Alexandre Fecteau, a su faire bon usage de tous ces éléments dans une intégration qui fonctionne. Une intégration qui laisse voir et ressentir les trois différents paysages, chacun dans son propre découpage.
La danse évolue tout au long du spectacle. Commençant au ras du sol pour devenir plus aérienne, elle est très proche du Contact-improvisation dans l’utilisation des échanges de poids et dans la construction des portés. Les quatre interprètes y utilisent fort bien leurs techniques, notamment Sara Harton dans son solo. Il faut aussi retenir le magnifique duo de Fabien Piché et Ariane Voineau, qui installe la danse dans une verticalité plus «courante».
Il s’agit donc, à mon avis, d’un excellent spectacle pour découvrir Karine Ledoyen dans une nouvelle étape de sa carrière. Pour les gens qui la découvriront, ils seront sûrement fascinés par l’installation de cette structure extraordinaire et par le soin de sa mise en scène. Pour les gens qui étaient un peu rebuté par ses œuvres précédentes, qui contenaient plus que leur part de kitsch, d’esthétisme populaire, de vacuité de propos et de surcharge rose bonbon, elle a enfin trouvé un chemin plus sobre et dépouillé. Elle commence à laisser aux choses le temps d’arriver et de se produire (ambiance méditative). Elle laisse le spectacle respirer et évite, le plus souvent, la surcharge qui caractérisait souvent ses productions précédentes.
Une production efficace.
On espère que cette œuvre pourra lui donner du vent dans les voiles.
Quelques liens internet
a) Pour mieux connaître Karine Ledoyen:
– Une brève entrevue accordée par Karine Ledoyen lors de la création du spectacle à Montréal en février dernier. (3 minutes)
– L’émission Archipel, des productions TLMSF, afin de mieux connaître l’univers de la chorégraphe. (58 minutes)
b) Pour présenter d’autres créateurs qui s’intéressent aussi aux différentes utilisations des murs en danse ou qui présentent des questionnements proches de ceux de Ledoyen:
– Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe y présente des jeux de constructions éphémères, questionnement sur l’horizontalité et la verticalité, structures et l’espace qui bougent autours des danseurs. (en anglais – 5 minutes)
(Pour rafraichissement de la mémoire, Cherkaoui a présenté au Grand Théâtre de Québec, au cours des dernières années, les chorégraphies Babel et Sutra)
– Ici, dans Paso doble de Josef Nadj, les murs, on les refaçonne. Une utilisation du mur plus performative, en collaboration avec le plasticien Miguel Barcelò.
– Ici, les murs on les escalade. Entrevue avec Vincent Poliquin-Simms un artiste originaire de Québec maintenant installé à Ottawa, qui présente sa compagnie d’art aérien Look Up.