Chroniques du regard 2012-2013, no 2 : Political Mother de Hofesh Shechter
Un spectacle à voir absolument.
Une excellente façon de s’initier à la danse contemporaine.
1. Danse politique ?
Il y a une dizaine d’années, j’ai participé à un séminaire intitulé Danse et socio-politique lors de mes études de maîtrise en danse à l’UQAM. J’ai pu m’y familiariser, sous la supervision de Iro Tembeck, historienne et grande intellectuelle, à une manière d’aborder la danse dans une approche transversale, tenant compte d’une foule d’aspects pouvant influencer tout autant la genèse et la création chorégraphique que le développement et la mise en marché des œuvres.
Ainsi, lorsqu’une œuvre intitulée Political Mother croise mon chemin, que son créateur est un Israélien vivant en Angleterre et que, de plus, cette chorégraphie arrive avec une aura de succès international, mes oreilles se dressent et ma curiosité s’avive. Tout d’abord parce que, depuis quelques années, les danses qui arrivent en provenance d’Israël résonnent très bien chez le public d’ici qui accueille cette danse avec enthousiasme, s’y reconnaissant dans sa fougue, son énergie vitale, son côté actuel et innovateur. Le public de Québec a déjà pu apprécier, au cours des dernières années, les œuvres de Sharon Eyal et Ohad Naharin, ainsi que la compagnie Batsheva, pour laquelle a dansé Hofesh Schechter.
Pour un bref survol historique de la danse en Israël : Blogue de VÉRONIQUE CHEMLA / « Let’s dance ! Israël et la danse contemporaine » de Gabriel Bibliowicz et Efrat Amit
Deborah Friedes Galili, auteure du livre Contemporary Dance in Israël offre aussi le site Dance in Israel
Pour des nouvelles récentes :
CARNETS DE TEL AVIV #04 : DANSE CONTEMPORAINE EN ISRAËL
CARNETS DE TEL AVIV #05 / DANSE CONTEMPORAINE EN ISRAËL (2) : EMANUEL GAT, YASMEEN GODDER, RENANA RAZ, ET NOA WERTHEIM… LÂCHENT LES RÊNES
2. Shechter apolitique ?
Depuis son départ d’Israël pour s’installer en Angleterre, il y a une décennie, Hofesh Shechter, qui a composé la musique et chorégraphié le spectacle Political Mother, a connu un succès fulgurant et est devenu l’un des incontournables du monde de la danse contemporaine. Même s’il insiste sur le fait que son travail est apolitique et qu’il ne veut pas donner de leçons à qui que ce soit, son expérience et ses histoires de vie colorent ses créations. Shechter s’intéresse à des sujets difficiles et rarement abordés aussi directement dans les spectacles de danse: guerre, terrorisme et résistance politique. L’individu y est présenté sur scène comme élément d’une masse qui lutte, en quête de liberté, en combat contre l’oppression et «le système» et surtout contre la propagande. «Je l’ai éprouvé très jeune dans la vie – dans la famille et le pays où j’ai grandi, comprenant lentement la situation autour de moi. La propagande était partout… Tout le monde veut toujours vous vendre un truc – l’Ouest, l’Est, le monde arabe… Vous vous rendez compte que vous n’avez aucune idée de la vérité, de la réalité.» 1 Dépréciant l’égoïsme et l’avidité inhérents à toute propagande, il réalise dans Political Mother, une œuvre qui mélange ingénieusement répétitions de guerre, danses folkloriques israéliennes et rituels religieux. Tout cela en espérant que son travail ne soit pas la représentation d’une seule culture.
Sans prendre position pour ou contre ce qu’il amène sur scène (ce qui est déjà une prise de position en soi), il espère que le public connecte à ses spectacles parce qu’il y traite ses sujets simplement, à travers les émotions humaines et universelles reconnaissables par tous. Ce faisant, la danse de Schechter tire plusieurs de ses sources dans la culture populaire. Les positions de corps présentées sont riches, leurs interprétations variables. Un des thèmes gestuels de cette chorégraphie, les mains au-dessus de la tête, suggère parfois l’allégresse et l’adoration, parfois la supplication ou la reddition, parfois même la zombification des masses. Certains autres gestes, qui peuvent sembler bruts et primitifs, prennent toutes leurs forces dans la répétition et le martellement de groupe. Ils deviennent invitation à se joindre au groupe, dans cette danse énergique aux multiples ramifications.
3. Et la mère dans tout cela ?
Le titre porte un indice qui peut aider à saisir l’état d’esprit de la chorégraphie. Les mots «politique» et «mère» y sont en relation bizarre, surtout que l’auteur ne veut pas faire de politique, tout en s’amusant à en faire le titre de la chorégraphie! Toutefois, on peut y voir une forte connexion entre les deux termes. Ils intègrent en leurs significations même un sens de servitude: la politique formant les individus pour servir un système tandis que la maternité, faisant référence à quelqu’un qui se soucie et prend soin, oblige aussi, d’une certaine manière, une obéissance à ses lois et dictats. Dans le spectacle, on assiste en fait à la «juxtaposition de deux concepts – la mère et l’état – soulignant le sens de la dette due aux parents… Quand vous grandissez, vous avez d’abord vos parents, vos frères, vos sœurs, une famille. Et vous avez ensuite une tribu, qui vous donne elle aussi le sens de l’appartenance, le sens de la dette. Enfin, nous avons des nations et des pays. C’est en ce sens que j’ai trouvé la connexion entre la politique et la maternité (ou la condition parentale).» 2
Sujets de discussion :
1. Quelle est la différence entre LA politique et LE politique ?
2. “Not taking side, is that a political statement?” 3
1 Extrait de Time Out London – Interview: Hofesh Shechter (traduction libre)
2 Extrait de Los Angeles Times Blog : Dance review: Hofesh Shechter’s ‘Political Mother’ at UCLA Live (traduction libre)
3 Question posée par Hofesh Schechter dans l’entrevue : Skins “Maxxie Dance” (Max est un des personnages dans la série de télévision britannique Skins, que l’on peut voir entre autres sur TOU.TV)