La Rotonde
En
En
Anne Plamondon : simplement elle | Critique d’Olivier Arteau-Gauthier

Anne Plamondon : simplement elle | Critique d’Olivier Arteau-Gauthier

les-memes-yeux-que-toi-anne-plamondon-photo-michael-slobodian (2)

Photo: Michael Slobodian

Merci à Olivier Arteau-Gauthier de nous offrir le plaisir de lire et partager sa critique du spectacle Les mêmes yeux que toi.

Il existe cette peur qui nous surprend. De l’épiderme à la moelle, sentir venir la fuite de notre esprit. Tranquillement, trop tranquillement, cette folie qui croît et qui s’émancipe  en nous. Anne Plamondon a su s’abandonner aux souvenirs d’un père schizophrénique. D’abord le vide. Cette scène épurée où ne dort qu’un banc d’auto et un monticule de cubes blancs. La danseuse-chorégraphe est seule dans cet espace qu’elle apprivoise, habite et comble par son interprétation démesurément juste de la perte d’autonomie. Ce même lieu est découpé avec beaucoup de finesse grâce à l’éclairage bien dosé de Yan Lee Chan. Souvent, les zones lumineuses inscrivent au sol ou sur les murs, des espaces clos. L’interprète se voit donc confinée dans un huis clos faussement barricadé et livre des soliloques plus tendres où elle utilise le sol comme pilier face à l’irrévocable destin qui l’habite. La fatalité. L’utilisation de l’espace évoque également l’influence de Marie Brassard dans ce spectacle chorégraphique ; omniprésence du monologue intérieur, création d’univers abstraits et forte utilisation de la lumière comme matière dansante, comme partenaire de Plamondon.

Sans oublier la minutie de l’urgence qu’elles ont abordées avec aplomb. La gestuelle de Plamondon est très adéquate et rend justice au propos de l’oeuvre. Ses initiations corporelles se font toujours par une partie du corps et non par le regard! Chaque mouvement est débuté par le coude, le pied, le bassin et par la suite, comme surprise par elle-même, son regard vient se poser sur elle. Les pieds, anguleux, proposent aussi un manque de stabilité, un embarras. Également, l’omniprésence du tour nous étourdit pour le mieux. Toutes ces caractéristiques ne sont pas la composante d’un seul tableau, mais forme un esthétique que l’on peut observer constamment au fil de l’heure. C’est ainsi que l’on peut voir les qualités d’une interprète au sommet de son art : une précision chirurgicale du geste dans une interprétation vaporeuse voire dépouillée. Un paradoxe improbable qui fait l’impact d’une bombe chez le spectateur.

Toutefois, la fin, abrupte nous ramène de façon trop franche à notre réalité de spectateur. On se retrouve rapidement au théâtre, on perd l’illusion, on applaudit trop tôt. Il manquait, ce soir là, ce silence infini qui nous submerge avant d’ouvrir les yeux sur cette créatrice que l’on veut voir sourire franchement avant de la quitter.

Néanmoins il s’agit d’une oeuvre incroyable qui nous fait réaliser que délicatesse et puissance sont deux qualités qui peuvent cohabiter dans une même heure. Plamondon nous livre ce qui a de plus humain, de plus vrai. Elle a l’audace de la transparence et sait comment nous marquer la rétine de son corps que l’on voudrait voir danser. Car Dieu sait qu’elle danse!

Auteur : Olivier Arteau-Gauthier