Air – Telle une bourrasque…
Collaboration spéciale Mathilde Bois
La fragilité est-elle lourde ou légère? Une plume de canari s’envole, éclair jaune et vif dans la noirceur de la salle, puis tombe, doucement mais immuablement, vers son tombeau.
Le nouveau spectacle de Karine Ledoyen tente de sonder l’atmosphère, comprendre l’homme en tant qu’être ivre d’apesanteur et avide de cimes mais condamné par ses vertiges à une chute irrémédiable. Une exploration, à travers mots, mouvements et compositions scéniques, dans un enchevêtrement de sens dans lequel le spectateur se perd, subjugué par la grâce effroyable d’une danse entre rêve et mort.
Quelques pistes de lectures…
Est-ce l’interprète, la chorégraphe ou l’air lui-même, dans toute sa lourdeur et sa légèreté, qui régit la scène?
Je vous invite à observer comment le corps du danseur s’abandonne sans appel aux forces plus grandes que lui que sont la gravité, l’équilibre mais surtout celle que lui impose autrui. L’autre… sera-t-il, à vos yeux, une menace à la fragilité, ce tortionnaire tout puissant qui nous ramène aux ras du sol, ou encore l’unique appui dans le vide, le souffle qui doucement nous emplira?
Tantôt leste et grave, imprégné de l’expression de l’interprète, tantôt incontrôlé et dénué de personnalité, sous le joug d’un sens lui échappant : un même mouvement semble obéir à une tension différente. Est-ce l’interprète, la chorégraphe ou l’air lui-même, dans toute sa lourdeur et sa légèreté, qui régit la scène?
Le mot qui contraste avec le mouvement
Vous remarquerez que le mot semble parfois se placer comme une tentative de narration, contrastant avec le mouvement, qui, chaotique ou grave, reste porté par les rafales et les brises de la subjectivité. Mais ce même mot contribuerait-il, aussi, à édifier la puissance émotive, qui engloutit toute raison et reflète l’agitation de l’âme?
«Embrassez-vous !» Le mot est donc à la fois l’expression objective de l’intimité et l’instigateur de l’absurde dans la tempête.
Se battre sans but ni fin…
…jusqu’à la dernière expiration, contre le poids du vide, du souvenir, de l’autre absent. Ou, plutôt, utiliser ce néant malléable et muet pour échafauder un univers de possibles, dont l’immatérialité parviendra peut-être à nous entraîner quelque instant, vers l’éther du songe et l’inaccessible gloire.
Comment l’accessoire – plume, talon haut, mannequin, ballon – son poids et sa couleur nous portent d’un temps de l’air à l’autre?
Le rêve est-il vraiment condamné à crever au moment du crépuscule ?
L’amour, l’éternel, la puissance ne seraient-il que les fantasmes d’âmes dont le corps est voué à la mort dans ce tragiquement beau tombeau qu’est la scène ?
D’une beauté terrifiante et précaire, AIR reste une œuvre qui nous traverse comme une bourrasque et nous entraîne dans un vent de grâce, vers les hauteurs…